Valentin Alizer - Artiste-poete

Sous la tente

C’est un road-movie animé, c’est aussi une épopée musicale et poétique, lente et contemplative, qui se construit au fur et à mesure de mes collectes et dont je fixerai la forme quand la nécessité de la monstration l’exigera.

D’ici là je peux dire ce dont cette épopée se nourrit et en évoquer des bribes.

Sous la tente ou bien sous les éoliennes ou dans les champs ou sur l’autoroute ou à Céladopole ou sur les aires de services ou dans la piscine tubulaire Intex ou à bord de la Citroen ZX ou à bord de la limousine se croisent le sanglier et le vieil homme au tuyau d’arrosage et ce roi mort et son chauffeur et le hamster de Dewey et le mecha-fourmi et le joueur de mini-golf et celleux qu’iels rencontrent ou qui figurent.

Chacun de ces personnages est en déplacement, cherche, attend.

À l’origine il y avait ce roi mort qu’évoque Jacques Brel dans Ne me quitte pas, je n’ai jamais pu en fixer l’histoire, à peine une iconographie (la limousine, le Bloody Mary, son chauffeur), alors un jour de novembre deux mille vingt-deux j’ai décidé d’en finir et de le tuer. J’anime (au sujet de) L’histoire de ce roi mort de n’avoir pas pu te rencontrer et j’y broie ce roi dans le creux de ma main ; dans la foulée je compose le poème-partition fade out, j’y écris : « J’annonce : j’ai tué mon roi, j’ai volé son monde et j’ai vu qu’il n’existait pas ; que des mots (mais il y a que ça des mots), maintenant je l’aime. », j’écris aussi plus loin, plus tôt : « J’ai tué mon roi ; je peux animer mes éoliennes moi-même ; je peux tout faire moi-même en suivant les autre. »

Tuer ce roi mort lui a donné la vie et m’a donné la forme.

Cette forme, j’y avais songé bien avant sa mort et bien avant l’attente, quand je suis arrivé à Toulouse en 2019, je n’avais pas de logement fixe mais j’avais les musées gratuits. Je me rendais quasi-quotidiennement aux Abattoirs, le canapé de cuir noir se situait alors face au dessin animé de David Claerbout : The pure necessity (2016) ; je le regardais et j’y méditais, somnolais. J’entrais dans un état de rêve-éveillé proche de ce que j’ai pu ressentir en visionnant Under the Silver Lake (2018) de David Robert Mitchell.

J’y suis revenu pendant le confinement de 2020 devant Neon Genesis Evangelion (1995). Dans l’épisode 4, Shinji fugue et erre dans Tokyo-3, l’image se déforme sous la chaleur caniculaire, on entend le bruit des cigales. Shinji monte à bord d’un train et y reste toute la journée, il écoute en boucle les deux mêmes musiques sur son walkman, le spectateur n’entend que le bruit du train qui roule et vibre.

Il y a là l’attente-errante chaude et morose.

J’en trouve une autre dans The Green Knight (2020) de David Lowery. Sire Gauvain y effectue un long périple jusqu’à la chapelle verte où l’attend l’inéluctabilité de sa mort, en chemin, il est confronté à différentes épreuves. L’une d’entre-elles illustre le conflit entre l’honneur et les devoirs du chevalier.

Il y a là les attentes et l’impossibilité de toutes les satisfaire.

Si ces fictions me touchent, c’est qu’au fond, sous-l’autostop et le soleil, il y a ces attentes, celles de la famille, des ami·e·s, des amours, des différents milieux militants, artistiques, professionnels, alternatifs et institutionnels qui soutiennent chacun·e·s leurs propres systèmes de valeurs parfois contradictoires entre-eux mais qui se fréquentent, se superposent, se mêlent, s’entrechoquent et cohabitent.

C’est cet espace de chevauchement full of contractions qui m’intéresse.

Mes mots peuvent apparaître brumeux, aussi soyons clair, soyons formel-formel : il s’agira de la vidéo-projection à l’échelle du mur, d’un vidéo-poème animé, narratif, épaulé pas loin par la diffusion sur moniteur plat fixé sur le mur limitrophe, de la boucle vidéo d’un feu de cheminée qui ne prend pas, le tout présenté dans une salle sombre, confortable et propice à la somnolence ; si le contexte est adéquat, j’effectuerai une lecture-performance.


Avec le concours de la Préfecture de la région Occitanie – Direction régionale des affaires culturelles via le dispositif de l’Aide Individuelle à la Création.