Valentin Alizer - Artiste-poete

Prenons comme point de départ ce moment où je compose, lis-performe une traduction homophonétique de l’UrSonate de Kurt Schwitters : l’Ours Honnête. J’y vais du phonétique au sémantique, francophone, grammaticalement correct afin d’élaborer un semblant de narration diffuse. J’écoute Michael Schmid, lui prend sa prosodie, tout ou partie de son flow et lis-performe le texte deux fois, une en France, une en Estonie où le sémantique et reçue phonétique, la boucle est bouclée.

À partir de là, l’aspect formel de mon travail sur l’Ours Honnête façonnera mon processus et ma prosodie.

J’écris un mémoire sur la question de la partition dans la poésie sonore, découvre la partition graphique et me plonge dans Treatise de Cardew.

À la même période, Caroline Solievna et moi montons Simili-cuir Éditions ; nous nous rendons à la Fabrique Pola, et j’aperçois en bord de route un panneau : « Billard / Minigolf ». Je découvre le minigolf de compétition, ses règles, ses variantes et les normes qui en contraignent la forme et je traduis Treatise en minigolf, l’intitule Un traité pour un rendu, et l’envisage comme le schémas narratif d’une série télévisée potentielle.

Des fins s’enchaînent : les beaux arts, ma relation avec O., ma vie mancelle.

Je substitue le café à l’atelier et entame @lundit__, une présence-performance, documentée sur Instagram : au café j’écris, je dessine, je lis, j’attends.

Un jour, Lucas Pastor m’offre Le crime du golf d’Agatha Christie, je cloue le pavé au mur de ma nouvelle vie, toulousaine.

À la même époque, j’ai Brel en boucle aux oreilles, « Ne me quitte pas, ne me quitte pas, ne me quitte pas » ; je me demande qui est « ce roi mort de n’avoir pas pu te rencontrer » ; j’entame un travail de recherche iconographique et pictural autour de Ce roi mort… qui m’accompagnera dans mon travail : caméos & co.

Je lis-ne-finis-pas Lipstick Traces de Greil Marcus ; à un moment du livre : « Il fait froid, sombre, il sent l’odeur des pins » ; j’entame une série de poèmes à partir de pin’s que j’ai ou que l’on me donne et développe une pratique de l’écriture semi-automatique, à destination orale, inspirée de ce que j’ai de visu puis de visu-vécu.

En parallèle, je voyage en stop, chaque été, parfois l’hiver, j’attends puis je vois des gens. À chaque fois je raconte, encore et encore les faits, les gens passés qui s’incrémentent et s’accumulent.

Un été, plusieurs matins de suite, je m’éveille à Marseille étourdi tout suant face à la cheminée d’une amie, j’en fais le croquis.

Au bout de quatre mois sur la route, je rentre, je vois Slacker, j’entends-je-lis : « I’ve traveled. […] And when you get back, you can’t tell wether it really happened to you or you just saw it on TV. », et ça résonne ; et puis je développe une passion-fascination pour les sous-titres jaunes.

Je lis Nadja et consécutivement j’entreprends de réaliser la cheminée, factice, à l’échelle 1, à partir du croquis et des souvenirs associés ; la taille, la touche, ce que je figure ou ne figure pas, chaque micro-décision prend son temps.

J’entame Marseille, phase 3, une bande dessinée ; on y suit mon personnage en fin d’été se faufiler entre les teuffeurs, aux pieds des lettres « MARSEILLE » que Netflix a payé, regarder la Méditerranée puis s’endormir au pied d’un IPN, glisser, glisser dans le noir le long d’un toboggan jusqu’à se poser sur le toit de la limousine de ce roi mort.

Dans la foulée, j’entame un jeu pour Game Boy Color, on y incarne ce roi à l’arrière de sa limo, regarder défiler le paysage, les panneaux de sortie d’autoroutes, d’aires de services et de points d’intérêt culturel et touristique.

L’été suivant, je pars, quoi que juste avant, je rencontre H. et tombe amoureux, je pars, j’attends mon retour. […] Un jour d’automne, nous nous séparons, je finis la cheminée.

À la mi-printemps suivant, je suis invité en résidence à Sablé-sur-Sarthe en compagnie de Quentin Saintpierre, pour un mois de recherches. Nous revenons sur nos étés. Je décide d’évoquer cet amour d’été, de trouver comment me raconter sans raconter l’autre et m’intéresse aux moments d’attentes. Je peins notamment J-0 ET H-QUELQUES HEURES, une vue satellite du café où j’ai attendu H. à Avignon, avant que l’on s’y retrouve et parte en idylle ; le geste est long, mécanique et propice à l’introspection. À l’issue de la résidence, isolés dans nos réminiscences, nous ne vivons ne parlons plus que dans nos étés passés.

Je compose un vidéo-poème en cinq actes. À l’image apparaissent des détails entrelacés-pixelisés-flous-mouvant-tremblant des pièces tandis que coule à l’oreille un récit-rêvé-lu-performé accompagné de sons de synthèse. Il y est question des amis, de l’amour, de l’autre ; je l’intitule quand j’y suis j’y reste.

À mon retour à Toulouse je l’adapte en poème-partition, jaune.

Au tout début de Zizanies, Clara Schulmann évoque « le point de départ réel de ce livre : une rupture amoureuse », elle a « conscience de la plate banalité de cette expérience, que tant de gens traversent à différents moments de leur vie. » Je m’intéresse à ces expériences humaines ordinaires, communes, à ce qui les rend exceptionnelles et à ce qui, ainsi, à l’échelle de l’individu, fait sens.

J’apporte une attention particulière aux failles, aux névroses, aux petits échecs du quotidien, et à toutes ces choses que l’on montre peu, qui sont nos fragilités, nos émotions, qui empêchent et qui influent incidieusement-délicatement sur nos décisions.

Je m’intéresse à ce que l’on se raconte à soi et à ce que l’on raconte de soi, à comment l’on va créer du symbolique afin d’appréhender le réel.

Parce que je me sens illégitime à parler de l’autre, je n’en fais pas le sujet : je parle de moi, et de mon rapport à l’autre. Je raconte ou combine ou conçois des anecdotes, et j’essaie d’en interroger la place et la pertinence, pour l’autre, celui qui les reçoit.